David Melchior (Rupert Murdoch)/Green Digger/Rupert le majordome (nom de scène)

Publié le par Altrast

              Nous sommes en 1960. J'ai 30 ans. Je suis Rupert Murdoch, alias Rupert le majordome. Je suis le héros d'un spectacle de music-hall très populaire à Londres, spectacle dans lequel un majordome nommé Rupert, élève du grand Houdini, sert avec dévotion ses maîtres tout en leur jouant des tours pendables grâce à ses dons de prestidigitateur. Qu'il s'agisse de servir la soupe en la faisant passer par ma manche, de faire disparaître les boulettes de viande pour qu'elles réapparaissent toutes dans l'assiette de Monsieur histoire qu'il se fasse accuser de gourmandise par Madame ou encore de détourner l'attention de Monsieur et Madame pour permettre à Mademoiselle de rejoindre son galant, j'ai tous les tours pour abuser les sens des spectateurs et les faire rire aux larmes avec mes cabrioles pince-sans-rire, bien aidé il faut le dire par mes partenaires qui excellent à servir des regards ébahis et des exclamations de colère ou d'étonnement. Le spectacle a tellement de succès que nous venons de décrocher un contrat pour le jouer à Broadway. Je suis marié à une femme délicieuse, Dorothy, ma partenaire à la ville comme à la scène (c'est elle qui joue la toujours pétillante Mademoiselle). Elle est enceinte de notre premier enfant, une fille que nous avons décidé d'appeler Emily. Je souris déjà en imaginant ses grands yeux s'ouvrir lorsque je lui apprendrai mes tours. Elle aura le sourire et la volonté de sa mère et saura toujours ce qu'elle veut.

              Je sors d'un pub très hype, « the wife's leg ». Je suis ivre. J'ai trop arrosé notre réussite. Dorothy, épuisée par sa grossesse, est déjà rentrée. Je suis resté et j'ai bu. Je sors pour prendre l'air. La lune brille, haute dans le ciel, jouant à cache-cache avec les nuages. Son reflet danse sur la Tamise indolente. Je suis bien. Un rayon blanchâtre me frappe alors que j'allume une cigarette, penché sur la rambarde au-dessus du fleuve. Il joue avec mes doigts, semblant craindre la braise rougeoyante au bout du bâton. Je sens comme un contact, ferme et doux, sur ma main. Comme si une autre main se glissait dans la mienne. Qui m'attire. Je la vois. Cheveux blancs et brillants. Peau pâle et translucide. Yeux noirs, complètement. La fille de la Lune. Qui me regarde. Qui me sourit. Qui me tire. Irrémédiablement. Dans l'eau, au fond de l'eau, l'humeur noire entre en moi, m'étouffe, je suffoque. Je suis bien.

              Je suis un Luneux, son Luneux. Je suis grand et mince, dégingandé, presque. Toujours bien habillé. Toujours propre. Souvent beau, sauf quand Elle est triste. Alors les larmes et la folie me ravagent, je ris, je tremble, je crie et j'ai mal, si mal. Les souvenirs reviennent. Une femme. Son nom ? Son ventre rond ? Les rires des gens, du public, qui tintent à mes oreilles. Je suis une main qui fait danser une pièce. Je suis la baguette qui distrait tes yeux. Mais je ris aussi, je me cache d'Elle pour qu'elle doive me trouver. Elle me dit des secrets pour que je les oublie et les enterre. Je creuse pour Elle. Pour me cacher. Pour La cacher. Pour qu'Elle ne soit pas triste, jamais. Pour qu'Elle ne me fasse plus mal...

              Je cours, et mes beaux habits sont déchirés par les Epines. Je fuis et je sens Sa rage et Sa tristesse. J'ai mal, mal au coeur, mal à l'âme. Je l'aime, Elle m'aime, pourquoi est-ce que je m'enfuis. J'ai mal, j'ai peur. Des créatures d'os me poursuivent, mais j'ai appris à me cacher. Ils ne me rattraperont pas. Elle ne me reverra jamais. Je sers la main de l'enfant dans la mienne. Celui qu'Elle a emmené pour me tenir compagnie, pour que je ne m'ennuie pas. Mon cadeau, un être terrifié et larmoyant, qui jamais n'aurait pu apprendre mes cachettes à temps. Alors j'ai pris sa main et depuis, nous nous cachons... Un rond de lumière pâle, nous sommes dans l'eau. Je bats des jambes, je tire, je hisse le petit corps à côté de moi. Nous sommes dehors. Sauvés. Pour le moment.

              Nous sommes en 2004. J'ai toujours 30 ans. Nous sommes à Bruxelles. J'ai rencontré les 4 Cours et j'ai d'abord rejoint l'Automne, habitué à la peur et en quête de réponse. J'y ai laissé le gosse. Je ne l'ai jamais revu. Dorothy est mère et grand-mère. Elle va bien. Emily va bien. Son fils aussi. Je me suis vu. J'ai vu Rupert Murdoch, celui que j'aurais dû devenir. Le spectacle a disparu. Tout le monde a oublié Rupert le majordome, même Dorothy. Je suis fini. Je ne suis plus rien. Je deviens le fossoyeur du cimetière d'Ixelles. J'apprends à regarder et à écouter les gens éplorés raconter leurs souvenirs. Je ne partage pas les miens, je m'invente une vie, conforme à celle que m'a donné l'Automne. Je suis David Melchior. Mais je redeviens l'élève d'Houdini, travaillant dans ma vieille baraque quand l'entretien du cimetière m'en laisse le temps. Je retrouve vite mon habileté de jadis. Je deviens le gardien farfelu, prompt à éloigner les indésirables à coups de pelles ou de ténèbres. A coups de folie si je n'ai pas le choix, mais après je dois me terrer, parce que les souvenirs me reprennent. Je ris et j'ai mal...

              J'ai quitté l'Automne, lassé de ne pas trouver de réponse. Mais j'y garde des amis. J'ai repris mon rythme d'Avant, écumant les bars, les soirées branchées de la capitale belge. Je suis devenu une figure des fêtes étudiantes prenant souvent place dans le quartier entourant mon cimetière J'ai rejoint le Printemps. Je suis la fête, je suis le désir. Mes bonnes manières plaisent aux femmes, et mes vieux tours marchent toujours. Mieux même. Je suis un dandy dans un corps de jeune homme, toujours bien habillé et avec tellement d'expérience. Mais je suis le fossoyeur, et je suis pâle, bien que souriant. Je ne reste jamais très longtemps accompagné, mais jamais longtemps seul non plus... Je suis remonté sur les planches, je joue partout où je peux, dans les anniversaires de mômes insupportables, les communions, les mariages, les cabarets pourris. Toujours invité, toujours flamboyant, toujours poli, à la limite du guindé, « je suis Rupert le majordome, pour vous servir Messieurs Dames ! Oh, voyons, ne laissez donc pas traîner vos mouchoirs partout, Monsieur, c'est inconvenant. Comment, Madame a perdu son collier ? Que vois-je ? Regardez, il est autour du cou de Fido, la brave bête a voulu imiter sa maîtresse, ah ah ah ! »

              Je suis un accueil et un refuge, pour les nouveaux comme les anciens. J'accueille les jeunes et les fait travailler. Je leur apprends le calme et la fête, avec moi ils fument, boivent et se racontent. Ils écoutent les marronniers pousser et apprennent à lancer des bogues sur les indésirables. Ils aiment ce qui grandit. Ils sentent leurs propres désirs et apprennent comment les satisfaire. Ils essayent. Rencontrent. Ils endurent le poids des souvenirs et les oublie dans la joie et le délire, dans la fumée et la musique, dans l'alcool et les compagnons/compagnes d'un soir.
Mon cimetière est marqué du sceau de l'Hospitalité, et jamais jusqu'ici les règles n'ont été enfreintes.



              Nous sommes en 2009, j'ai 35 ans et j'ai tué Rupert Murdoch. J'ai enterré sa triste dépouille près de ma cabane, pour le souvenir. Pour qu'il serve d'exemple aux jeunes. Je suis David Melchior le Green Digger, et je sers le printemps. Je cache ce que vous voulez, pour rien ou pour un bon prix. Parfois, je fais même réapparaître ce qui était caché.

              Tant que la fête éternelle durera !

Publié dans Jeux d'histoires

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B
<br /> Tes backgrounds de perso sont toujours aussi nickels :)<br /> <br /> <br />
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A
<br /> Merci :)<br /> On fait ce qu'on peut. Mais faut dire que créer des persos est probablement la chose que je préfère dans le JDR, bizarrement^^<br /> <br /> <br />