Xolotl Amacui

Publié le par Altrast

 

*Le texte suivant se trouve dans un coffre de pierre rangé bien au fond d’une ziggourat dans le domaine de Tezcatlipoca. Les feuillets sont d’une sorte de papyrus récent mais honteusement taché d’on préfère ne pas savoir quoi. Le tout reste globalement lisible. Il s’agit d’une sorte de journal intime. Une jolie collection d’articles de journaux vantant les mérites du « Génial Enquêteur Amacui » est jointe au carnet. Certains passages ont été fluorés en vert. *

 

Je suis un détective depuis l’âge de 12 ans. Depuis le 6 février 1993, jour  où mon meilleur ami Mactzin a perdu son bracelet fétiche, dernier souvenir de sa mère décédée. Il le cherchait depuis 2 semaines. Il m’a fallu dix minutes pour le dénicher. Depuis cette histoire, les gens de mon village sont sans cesse venus me demander de retrouver leurs affaires perdues. Ca me faisait bizarre, parce que d’habitude, on m’évitait plutôt. Faut dire que je n’ai pas de père, ça n’aide pas. Non, je ne veux pas seulement dire que ma mère ignore qui l’a mise enceinte, je veux dire qu’aucun homme ne l’a jamais approchée. Elle vivait travaillait dans le couvent qui l’avait recueillie orpheline, alors vous pensez si les hommes trainaient souvent autour d’elle… Je parie que ma pauvre mère ne savait même pas à quoi ressemblait un pénis avant de voir le mien à la naissance. ‘Fin bon, évidemment, après ça, ça le faisait moyen de rester au couvent, alors quand j’ai eu 15 ans, on est parti s’installer à la ville. A Mexico City, même, directement. Maman a retrouvé du boulot, et je suis allé à l’école, dans un collège anglais (St Trinity College). La seule chose véritablement intéressante que j’ai retenu de mes études, ce sont les leçons d’escrime.
                On se payait ma tête au début, mais ça n’a pas duré. Pas après que j’eus innocenté un de mes camarades qu’on accusait d’avoir dérobé des copies d’examens. C’était facile de deviner que le maître les avait laissées traîner à côté de ses vieux journaux et que son serviteur analphabète les avait mises au rebut. Inutile de dire que ma popularité monta en flèche, autant auprès des professeurs que de mes condisciples.

                C’est à l’âge de 20 ans, alors que j’étais en deuxième année de criminologie, que j’ai commencé à devoir obligatoirement occuper mon cerveau. Il m’était facile de deviner de nombreux secrets que mon entourage pensait avoir dissimulé habilement, mais si je ne voulais pas me fâcher avec tout le monde, il me fallait concentrer mes facultés d’observation à quelque chose d’autres que l’analyse des faits et gestes de mes contemporains. Les mots croisés ne m’excitant guère, je me suis tourné vers le crime. J’ai dérobé ma première statuette amérindienne dans le principal musée de la ville avec une facilité déconcertante ; simple comme bonjour d’étudier les rondes des gardes, la disposition des caméras ainsi que les meilleurs endroits pour se laisser enfermer. Encore plus aisé de planquer la statuette à l’intérieur du musée, de ressortir avec les premiers visiteurs et de venir la récupérer un mois plus tard, quand les recherches se concentraient sur un cambrioleur multirécidiviste de passage en ville et dont on avait retrouvé l’ADN sur plusieurs portes (c’est fou tout ce qu’on peut obtenir simplement en graissant la patte de quelques employés d’hôtel mal payés…) et se déroulaient à plusieurs kilomètres du musée.

                J’ai gardé la statuette un an complet, avant de la restituer en secret (et en voyageant sous une fausse identité) au village bordant le temple où elle avait été découverte. Je m’étais déniché deux passions qui venaient s’ajouter à mon goût de toujours pour l’enquête et la criminologie : les cambriolages et la restitution de biens culturels. Mais afin de pouvoir transformer ces passions en mode de vie, il me fallait un moyen de gagner de l’argent.

                Une série de crimes sanglants faisait la une des journaux des USA et du Mexique. La police locale, rapidement dépassée, avait été remplacée par des enquêteurs fédéraux, qui patinaient tout autant mais ne l’auraient admis pour rien au monde. Je me suis rendu sur les différentes scènes de crime. Je suis entré en contact avec plusieurs journalistes qui suivaient le dossier. Mon statut d’étudiant en criminologie m’a même permis d’entrer en contact avec les détectives et agents fédéraux qui bossaient sur cette affaire. J’ai bien entendu photocopié autant de documents que possible et pris des tonnes de photo. Une semaine après, je transmettais au FBI une suite de preuves imparables pouvant accuser deux suspects, et je leur demandai leur aide afin de trancher mes hésitations. Ils m’ont envoyé promené (comme je l’avais prévu) et se sont précipités sur la cible la plus évidente (qui n’était qu’une fausse piste créée de toute pièce par mes soins), alors que je me rendais, accompagné d’un journaliste courageux (ou inconscient) dans la tanière du véritable meurtrier. Nous ne l’avons pas arrêté immédiatement, hélas. Il a eu le temps de planter un hachoir dans la tête de mon compagnon. J’ai attrapé une chaise et l’ai fracassée sur le monstre, qui s’est écroulé. Puis je me suis acharné sur lui jusqu’à ce qu’il tombe dans les pommes. Après, seulement, j’ai appelé les secours.

                En deux jours, j’étais devenu une vedette courtisée par tous les talk-shows américains. Des éditeurs me faisaient des ponts d’or pour que je publie le récit de mon enquête chez eux. Hollywood désirait déjà racheter les droits d’adaptation. Alors j’ai disparu pendant un mois. Je suis réapparu 4 semaines plus tard dans le commissariat sis 21 Jump Street, Washington DC, avec l’adresse d’un autre tueur en série nommé « le kabbaliste » (parce qu’il semblait performer d’étranges rituels en tuant ses victimes et qu’il laissait derrière lui des citations de la Thorah). Après son arrestation, ma réputation de super détective était faite, tout comme ma modestie s’établit rapidement, ce qui contribua à me rendre éminemment sympathique aux yeux du public et des forces de police (je ne donnais pas l’impression de leur voler la vedette). La vérité, c’est que j’adorais me retrouver sous les feux de la rampe, mais j’étais suffisamment habile pour ne pas le montrer.

J’ai écrit un livre narrant ma deuxième enquête. Les royalties continuent de payer mon loyer. Avec l’avance de l’éditeur, j’ai acheté un deux-pièces que j’ai transformé en bureau dans un quartier populaire de la capitale américaine. Je me suis installé comme détective consultant.  Je trie soigneusement les affaires qu’on me soumet et n’accepte que celles qui représentent un intérêt profond, mais j’adapte toujours mes honoraires demandé aux bourses de ceux qui me consultent.

                Et entre deux affaires, quand je suis contraint à l’inaction par l’inanité des crimes qu’on me soumet et que mon cerveau ne cesse de ressasser tout ce qu’il apprend inconsciemment au sujet des êtres humains que je fréquente, je pille les musées. C’est ma petite détente, le moment où je me défoule pour contourner des systèmes de sécurité toujours plus perfectionnés et des gardes de plus en plus nerveux. Je me suis fait un nom dans ce milieu également, ou plutôt une absence de nom. Je suis « Ombre en flux » et ceux qui cherchent à me contacter peuvent laisser un message sur certains forums très particuliers. Si le code est bon, je déroberai ce qui m’est demandé, contre une somme d’argent variable dont je reverse systématiquement la moitié à diverses organisations luttant pour les droits des Amérindiens. Et quand ni le crime sur commande ni la police ne me fournit de quoi captiver mon attention, je vole et restitue des objets d’arts aux cultures à qui on les a volés scandaleusement !

                Je ne sais pas si c’est mon intérêt pour mes origines ethniques ou mes talents particuliers qui ont poussé mon père à se manifester. J’étais dans mon bain. Une superbe jeune femme m’attendrait bientôt devant un cinéma. En sortant de la baignoire, mon regard a été attiré par une forme étrange à la fenêtre. Je me suis précipité et me suis écorché le doigt sur une écharde. Une goutte de sang tomba sur le poncho bizarre en plume que m’avait offert (en insistant lourdement malgré mon refus) une vieille Indienne lors d’un de mes derniers séjours au pays. Et un truc vraiment weird s’est passé : une sorte de serpent géant et volant est sorti du poncho et s’est… incliné ? devant moi. Il parlait d’une voix sifflante et en Nahuatl (par chance, une langue que je maîtrise). Il m’a appelé « maître » et m’a demandé de verser un peu de mon sang sur le miroir de la salle de bain. Je ne comprenais rien, mais vu la taille de la bête, j’ai préféré obéir. J’ai écrit mon nom sur le miroir. Il s’est mis à fumer. Avant de comprendre quoi que ce soit, j’en avais inhalé une grande bouffée et je suffoquais sur le sol, crachant mes poumons, les yeux brûlants. J’ai cauchemardé pendant… je ne sais pas, des heures ? J’étais au sommet d’un champ de bataille dantesque où des monstres tentaculaires dévoraient les hommes et où des géants poussant des cris de jaguars arrachaient des appendices par milliers. Le sang giclait en gerbes gigantesques qui frappaient le sol avec violence, recouvrant la totalité du paysage. Et un homme au regard fou, une écume rougeâtre aux coins des lèvres éructait des insanités qui galvanisaient ses troupes. Il s’est alors tourné vers moi et a plongé son regard dans le mien. Je me suis vu. Vu dans ses yeux, à l’état de semence, puis d’embryon. J’ai vu toute ma vie défiler devant moi et je suis devenu fou alors que je comprenais pourquoi j’avais grandi sans père.

                Je me suis réveillé dans ma baignoire, remplie d’une eau glacée et sanguinolente. Sur le poncho de plumes, le serpent gigantesque était lové, me regardant avec attention. Sous lui reposait une épée d’un noir brillant, un cadran solaire, un livre et une amulette. Dans le livre, une affiche annonçant la prochaine exposition d’art aztèque dans un petit musée régional. Le clou du spectacle était une vasque rituelle ayant servi à des sacrifices humains visant à apaiser Tezcatlipoca. Je savais ce qu’il me restait à faire. J’empoignai mes nouveaux jouets, flattai les écailles du Coatl et m’élançai dans la nuit.

 

                Mon père ne m’aime pas, je le sais. Il se rend compte que je n’accomplis les sacrifices qu’il exige qu’avec une grande répugnance. Tuer des gens en dehors de la légitime défense est sans intérêt en ce qui me concerne. Ce qui me sauve, c’est que j’ai délivré plus de reliques que n’importe lequel de mes frères ou cousins avant moi, et d’après ce que j’ai compris, c’est une activité très utile, peut-être même vitale en ce moment. La guerre fait rage et même le monde des hommes semble être touché.

J’ai tué un protoblob visqueux et vorace la nuit dernière. Il m’attendait en embuscade dans le manoir du Baron Von Schwarzenstein, dont je devais alléger la collection privée d’un délicat peigne ouvragé d’origine chinoise. Probablement un arrangement entre mon père et un dieu étranger (je devais remettre l’article à un certain Tommy Lee.) La bestiole était coriace et j’ai eu toutes les peines du monde à m’en débarrasser.

                Ma réputation d’enquêteur est devenue mondiale. Je pense qu’une bonne partie des gens fréquentant au moins un média savent qui je suis. La moitié d’entre eux a lu mon livre, si j’en juge par mon compte en banque.  Mon nom est entré au dictionnaire des noms propres et j’ai dû refuser d’être immortalisé au musée de Mme Thussaud.  J’ai été engagé pour retrouver la fille de l’ambassadeur du Japon en Australie. Je l’ai récupérée au pied du mont Uluru en plein trip mystique. Je l’ai laissé redescendre de ses hauteurs spirituelles en écoutant les Abo jouer du Didgeridoo. Ramener la fille n’a été qu’une formalité, mais je connais assez les traditions japonaises pour savoir que son père me doit une grosse faveur. Qui sait, ça me servira peut-être un jour…

                Je l’ai enfin coffré ce salopard ! Deux ans que je le traque, deux ans que je sais pertinemment que c’est lui qui a gaulé L’adoration des Mages de Rubens juste avant que je ne m’en empare. Finalement ça a été assez simple : il m’a suffi d’à nouveau implanter des preuves l’incriminant dans un de mes propres casses. Il a été totalement affolé de voir que la police retrouvait effectivement l’émeraude de Rawaj Putallah dans son coffre privé à la banque. Après mes multiples interviews auprès de journaliste très sérieux, j’ai bien entendu fait une noce de tous les diables histoire de donner du grain à moudre aux journaux people. C’est ma philosophie, ça, si je peux faire profiter plus de monde de ma présence, j’ai moins de chances de léser quelqu’un !

 

Description physique

                Xolotl est, sous sa forme naturelle, un pur produit amérindien : cheveux longs et couleur aile de corbeau, teint buriné, pas très grand, costaud mais avec des membres déliés qui lui confèrent une élégance naturelle lorsqu’il se déplace et une démarche pleine d’assurance décontractée. Toujours tiré à quatre épingles (vive le talent « sur mesure »), il accumule en parallèle les fausses identités (et tout aussi faux visage), ce qui lui permet de vivre 100 vies différentes dans une seule. Ses dons de métamorphose lui permettent d’exercer un contrôle absolu sur son image : seules les photos, vidéos et interviews qu’il accepte seront diffusées. Les autres afficheront une couleur d’yeux qui ne sera pas la sienne, un visage légèrement plus anguleux, une crête de punk en guise de chevelure, etc., comme si le photographe/caméraman avait mal calibré son objectif ou comme si les journalistes avaient voulu faire passer un sosie maladroit pour l’original.

 

                L’Ombre en Flux, par contre, n’a pas de visage. Tous les contrats, livraisons et paiements se négocient  à distance par l’entremise de forums de discussions en apparence banals (la cuisine pour les nuls, plusieurs forums parlant de problèmes intimes des adolescents, une hotline de SOS Suicide, un forum dédié au folk-rock celto médiéval, un autre rassemblant les fans de modélisme, etc.). L’Ombre en Flux n’a jamais dévoilé son visage à la moindre caméra de sécurité ou au moindre vigile, aussi perfectionnée ou attentif soient-ils. La seule personne à avoir aperçu l’Ombre en Flux est Carmen Sandiego, la légendaire voleuse qui a inspiré jeux vidéo éducatif et série animée (voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Carmen_Sandiego.)


Description psychologique

Je suis un putain de show-off. J’adore la gloire, j’adore faire la fête, j’adore être excessif. Mais comme je me rends compte que tout cela est profondément vain, je transforme le tout en grand jeu de dupes où je trompe tout le monde, sur ce que je suis, sur ce en quoi je crois, sur ce à quoi je ressemble. Ma véritable personnalité est cachée profondément sous des couches d’inventions et de mensonges : je suis un gentil. Un gentil qui s’ennuie et qui s’invente de dérivatifs très particuliers, mais un gentil tout de même. Et par-dessus tout, j’ai envie de vivre, vivre à fond, sans me poser de questions : j’aime boire et fumer et baiser et danser. Hélas pour moi, je ne suis absolument pas insouciant, alors je recours à des artifices pour ne pas prendre de risques. Et je mens plus que probablement à nouveau. Les enquêtes me passionnent parce qu’elles me permettent d’utiliser à plein rendement mes facultés d’observation et de déduction. Les vols sont devenus une drogue parce que j’y trouve un frisson et une tension inexistants partout ailleurs. La cause amérindienne me préoccupe parce que je suis outré de voir ce que mon peuple et les peuples frères ont subi et continuent de subir (la découverte de mon héritage n’a fait que renforcer ce sentiment.)

Je me doute aussi que la belle vie ne durera pas. En même temps que ma gloire augmentait, je me suis senti monter en puissance, mais j’ai aussi pris conscience de menaces de plus en plus périlleuses qui s’amoncelaient  dans les franges et les bordures du monde, des périls qui deviennent de moins en moins discret et qui s’en prennent de plus en plus ouvertement aux mortels. Je sais que je suis incapable de les protéger seul, alors je me sens de plus en plus prêt à prendre une part plus active dans la guerre qui se répand, même si je ne sais pas exactement quel rôle je vais pouvoir y jouer et que je redoute les demandes démesurées de mon père et de certains de mes oncles et tantes. D’autant que je n’ai pas l’impression d’être en odeur de sainteté dans la famille, sauf peut-être auprès de Quetzalcoatl : j’ai appris en effet qu’une de mes reliques, Tlaciuhqui, était en fait un présent de sa part et que c’est lui qui m’a confié le Coatl qui m’accompagne parfois. Je ne sais pourquoi il a agi de la sorte, mais je sais que ça a contribué fortement au fait que mon père me méprise le plus souvent ouvertement…

Publié dans Jeux d'histoires

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